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Après la Belgique, Roberto Martinez dirige désormais la sélection nationale portugaise depuis 2023 / © Presse Sports

Le Portugal de Roberto Martinez domine son groupe de Ligue des Nations. L’occasion de revenir sur les convictions et le parcours d’un coach modélisant à bien des égards. 

Contesté et critiqué après le semi-échec de la sélection portugaise lors du Championnat d’Europe des Nations (défaite contre la France, 0-0, 3-5 aux tirs-aux-buts, en quarts de finale), Roberto Martinez revient en grâce auprès des supporters lusophones séduits par le projet de jeu impulsé par le technicien espagnol, lors de la Ligue des Nations. En 3 victoires et 1 match nul, les coéquipiers de Cristiano Ronaldo ont décliné les consignes de leur sélectionneur avec une détermination et une constance dans l’effort qui, plus que les mots, parlent de l’appropriation des idées du sélectionneur par le groupe. Pour autant, avant de coacher quelques-uns des meilleurs joueurs du monde, l’entraîneur a fourbi ses armes de 1995 à 2007 en 4ème division du Pays de Galles, puis à Wigan en Angleterre, à une époque ou le kick and rush britannique le disputait aux subtilités du jeu de position. Un emploi à contre-cœur ? "Une chance", nous répondait le technicien lors d'un entretien fleuve alors qu'il était encore sélectionneur de la Belgique. Et de préciser son propos : "En arrivant à Wigan, j’ai dû composer avec un jeu où la possession de balle était le plus souvent partagée à 50-50 et où l’occupation territoriale importait plus que la maîtrise collective. Et pourtant, c’était bien du football ! Une autre façon de le penser, de le jouer mais il s’agissait du même jeu. Cela m’a donné l’opportunité de comprendre que le football n’était pas uniforme, que chacun pouvait avoir sa manière de le concevoir et qu’à ce titre, il ne pouvait y avoir une vérité formelle et identique pour tous !" Un parti-pris qui déboucha alors sur deux montées successives pour un coach qui a dû composer avec ses aspirations techniques sans pour autant les dévoyer : "Dès le début de ma carrière, j’avais une idée très claire du jeu que je souhaitais faire pratiquer à mes équipes. Je voulais que nous ayons la possession du ballon et que nous tirions un avantage tactique de la position de mes joueurs sur le terrain. Sauf que mes intentions ne correspondaient pas vraiment avec la réalité d’un jeu où le ballon passait plus de temps en l’air qu’au sol. Et cela, je n’avais pas le pouvoir de le changer ! La seule question qui demeurait était donc de savoir comment je pouvais adapter mes convictions afin que celles-ci nous mènent à la victoire en tenant compte du contexte. Ça a été formidablement formateur et aujourd’hui, je peux dire que ma philosophie du jeu est une combinaison entre toutes ces influences et expériences."

 

"Le football n’étant pas uniforme, on ne peut pas prétendre détenir une vérité formelle et identique pour tous"

 

Parmi les ingrédients de la recette Martinez, une considération particulière doit être portée sur le passé de ce milieu de terrain, "6" de formation. Une caractéristique commune à la plupart des grands entraîneurs actuels (Guardiola, Ancelotti, Xavi, X. Alonso) : "Il est vrai qu’il s’agit d’un poste où l’on se doit de traiter des informations à 360 ° autour de soi. Ceci expliquant sans doute pourquoi autant de "6" de métier bifurquent vers la fonction de coach. Ce n’est pas très étonnant en soi. La façon dont tous les entraîneurs perçoivent et conçoivent le jeu est toujours le reflet de leur propre expérience de joueur. L’analyse que l’on tire du jeu, aussi objective soit-elle, contient toujours une part de ressenti. En fait, l’ancien joueur ne meurt jamais tout à fait lorsque l’entraîneur prend sa place. C’est pourquoi, ma vision du football est forcément impactée par mon poste originel. Même si d’autres paramètres rentrent en ligne de compte, bien sûr..." Critères sur lesquels nous l’avions alors interrogé : "Il y a aussi les circonstances dans lesquelles vous avez fait vos premiers pas, le pays où vous avez appris à jouer et les coachs auprès desquels vous avez enrichi votre connaissance du jeu. Moi, par exemple, je suis Espagnol, et ma philosophie du football, la manière dont j’aime le voir pratiquer par mes équipes, tient beaucoup aux concepts de "jeu de position". C’est pourquoi je suis si attaché aux notions de contrôle du tempo de l’action, à la maîtrise du ballon et à la position des joueurs assurant sa progression sur le terrain. Je suis le fruit de mes expériences. Serais-je aujourd’hui le même entraîneur, aurais-je tenu le même discours, si j’étais né en Suède ou en Amérique du sud, je ne le crois pas."

En discussion avec son capitaine Cristiano Ronaldo / © Presse Sports

"Nous ne nous adaptons pas à l’adversaire mais à ce que le jeu exige !"

Est-ce que les équipes de Roberto Martinez déclinent leur plan de jeu sans se soucier de celui de leurs adversaires ?  "Ce n’est pas aussi simple que ça. Nous cherchons globalement à imposer notre football mais nous devons aussi prendre en compte la manière dont nos opposants évoluent (rappel : l’interview a été réalisé alors que R. Martinez était à la tête de la sélection belge ndlr). Depuis peu, je m’aperçois par exemple que nos adversaires changent parfois leurs systèmes lorsqu’ils doivent jouer contre nous. Je pense notamment aux équipes qui passent sur des défenses à 5 alors qu’elles évoluent à quatre habituellement. La vérité est que nous devons savoir faire preuve de flexibilité pour pouvoir répondre efficacement aux différents problèmes tactiques que nous allons inévitablement rencontrer lors d’un match. Ce qui signifie que nous ne nous adaptons pas à l’adversaire mais plutôt à ce que le jeu exige !"

"Il y a toujours un moment où le coach se retrouve face à lui-même et où il se doit de répondre à une question fondamentale : comment a-t-il vraiment envie de jouer ?" 

Comment un coach évolue-t-il tout au long de sa carrière ? L’entraîneur espagnol évoque le processus de maturation personnelle des techniciens au plus haut niveau : « Je ne peux certainement pas répondre pour tous mes confrères. Mais ce que je sais en revanche, notamment au début de sa carrière, c’est qu’il y a toujours un moment où le coach se retrouve face à lui- même et où il lui faut répondre à quelques questions simples et cependant fondamentales : comment veut-il vraiment jouer ? Quelles vont être ses priorités de jeu ? Quel type de football entend-il favoriser ? Parce que tout part de là ! De ces trois ou quatre réflexions initiales qui vont décider de son évolution future. En fait, tout est une histoire de regard. Celui que l’entraîneur porte sur son équipe mais, plus largement encore, sur la perception sensible qu’il a des hommes et de son sport. »

*Déclarations extraites de l'interview accordée par Roberto Martinez à la revue "Zone Technique"