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Jérôme Drouard (à gauche) - © Bruno Perrel / DR

Spécialiste en sciences cognitives et comportementales, Jérôme Drouard, préparateur mental du FC Lorient, parle de son approche avec une équipe reléguée… qui vise la remontée.

Comment instaurer une nouvelle dynamique de groupe au lendemain d’une saison difficile ?

Dans toute équipe de football, la personne la plus importante est le chef d'orchestre : l'entraîneur. Au FC Lorient, le changement de coach a amené de la nouveauté et permis de rebattre les cartes pour bâtir une cohésion nouvelle. Bien que ce soit consommateur d'énergie, il est fondamental pour un coach d’y consacrer du temps à son arrivée et durant la saison. Et je dois dire qu’Olivier Pantaloni a été remarquable pour ça. Il a pris le temps pour communiquer individuellement avec tous les joueurs afin de connaître leurs envies et poser une relation de confiance, essentielle à leur motivation.

 

Quelle différence d’approche entre une équipe qui vise le maintien ou la montée ? 

L'an passé, le club surfait sur une dynamique remarquable (10ème en 2022-2023, ndlr), sauf que des éléments du système ont changé avec l'arrivée et le départ de nouveaux joueurs ainsi qu’une organisation un peu remaniée. Or, dans tout système, si les éléments sont visibles, le flux et les interactions le sont beaucoup moins et peuvent modifier l'équilibre.

 

La stabilité comme gage de réussite ?

Ce qui est sûr, c’est que hormis quelques joueurs, l'effectif n'a pas bougé à l’intersaison. Et la cohésion entre le staff et les joueurs est bonne. Ces derniers sont passés d'une situation désagréable de relégation à celle très motivante sur le plan individuel et collectif de jouer la montée. 

 

« Instaurer un climat sécurisant, inciter à la réflexion puis pousser à l’action »

 

Ce qui revient à dire que les joueurs ont digéré la descente. Comment limiter chez eux le sentiment d'échec ? 

Dans un tel contexte, il faut dans un premier temps leur accorder du soutien et de la compréhension afin d’instaurer un climat sécurisant. Le deuxième temps doit être celui de la réflexion personnelle. « Pourquoi j'en suis arrivé là ?, Qu’est-ce que j’ai envie de créer maintenant ? » Il faut analyser les raisons de son échec, dresser des bilans et regarder l’avenir. Le troisième est le passage à l'action. Autant d’étapes concomitantes qu’il nous faut intégrer quand on est joueur mais aussi dans l’encadrement.

 

Comment cela se traduit dans votre travail, concrètement ?

Je commence par les écouter, j’essaye de comprendre et d’identifier les difficultés, ce qui bloque éventuellement puis j'alimente la discussion par des questions plutôt ouvertes. C’est un processus, il faut parfois du temps. 

 

Quid de la crise de confiance pouvant toucher des éléments situés à des postes particulièrement exposés comme les gardiens de but ou les attaquants ?

Le sportif de haut niveau doit être auteur et acteur de son projet pour affronter les difficultés. Je vous donne un exemple : j'ai accompagné il y a quelque temps un gardien numéro 3 qui n'avait pas encore de contrat pro. Mon travail a été de lui faire prendre conscience que malgré plein d'éléments du système qu'il ne maîtrisait pas et qui était pour lui angoissant, il pouvait construire à son niveau des conditions d'émergence de sa propre performance. Même si à ce moment-là les portes étaient fermées, je devais l'aider à construire ce que j'appelle une cathédrale. Je lui disais que son travail et ses choix lui permettaient d'ériger une cabane en bois, une villa ou une cathédrale, en fonction des moyens qu'il investit dans cette construction. Chaque pierre compte. Quelque temps après, un staff l'a fait signer pro, puis il a joué des matchs régulièrement… Grâce à son travail. 

 

"Important pour un entraîneur de faire appel à un regard extérieur quand il en a besoin pour prendre du recul, voir les éléments sous un angle différent afin de prendre des décisions adaptées"

 

D’une manière générale, quel conseil donneriez-vous à un entraîneur pour impulser un état d'esprit positif dans son groupe en ce début de saison ?

Je lui conseillerais de cibler deux aptitudes en lien avec nos mécanismes cérébraux : l'adaptabilité et la motivation. Lorsque deux équipes s'affrontent, même s'il y a des stratégies, la responsabilité et difficulté de chaque joueur est de trouver des ajustements pour s'adapter à un contexte. Le propre de l'adaptabilité est de le faire dans une situation inconnue et complexe, ce qui nécessite d'encourager son groupe à être curieux et à prendre des risques. 

 

Et la motivation ?

La motivation est plurielle. Toutefois, il y a ici une notion de responsabilité à envisager et donc des actes à mettre en place. Les joueurs ont leur propre responsabilité individuelle, celle envers leurs coéquipiers qu'ils se doivent de soutenir, et enfin celle envers leur club. Pour cela, l'entraîneur pourrait teinter sa communication, ses encouragements et ses actions sur ces notions de responsabilités sans être jugeant. 

 

Quelle posture adopter pour anticiper les problèmes qui surviennent durant la saison ?

Il faut se concentrer d'abord sur ce que l’on veut mettre en place, car on sera toujours confronté à des difficultés. L’entraîneur doit donner une direction allant d'un point A à un point B en termes d'objectifs et mettre en place des actions pour y arriver. Cela donne du sens à l'équipe et permet d'affronter les problèmes rencontrés étapes par étapes, tout en gardant le cap fixé. Une saison de foot est usante pour le coach et un staff. À ce titre, je pense aussi important pour un entraîneur de faire appel à un regard extérieur quand il en a besoin pour prendre du recul, voir les éléments sous un angle différent afin de prendre des décisions adaptées. Le stress ne concerne pas que le joueur.

L'ancien et le nouveau coach du FCL : Régis Le Bris et Olivier Pantaloni / © Presse Sport

Reprise : Entretien individuel, ateliers collectifs, statut, gestion des émotions…

Il n’y a pas que les joueurs et le staff qui sont mobilisés dès la reprise. A Lorient, le préparateur mental aussi était sur le pied de guerre. « Le premier objectif a été de voir individuellement un maximum de joueurs et notamment les recrues afin de me présenter et de leur expliquer ce que je peux leur apporter. Dans un deuxième temps, mes actions consistent aussi à co-construire avec le staff et le directeur du centre des ateliers collectifs en lien avec des problématiques récurrentes sur la saison. Par exemple, nous avons abordé avec les joueurs la notion de statut qui revient dans les discussions de vestiaires. C'est quoi le statut ? A quoi ça sert ? L'idée étant de les faire verbaliser et échanger sur cette question. » Et ce n’est pas tout. Durant l’été, Jérôme Drouard est également intervenu auprès de tous les éducateurs du centre de formation des Merlus dans le but de travailler sur le thème des émotions car « elles sont partout pour le coach ; au bord du terrain, lors d’un entretien avec le joueur… Le fait d'en parler permet d’avoir une représentation commune de ce que l’on entend par la régulation des émotions et aussi de partager des expériences et d’affiner ensemble une approche efficiente. »

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