Observer
"La diversité de notre formation constitue le véritable made in France" : l'ancien directeur de l'académie de l'OL et celui du MHSC partagent leurs expertises sur l’évolution de la formation tricolore / ©Icon Sport

Concurrence, Barcola, méthodologie… L'ancien directeur de l'académie de l'OL et celui du MHSC partagent leurs expertises sur l’évolution des centres de formation en France.

Comment ont évolué les centres de formation depuis vingt ans ? Alors que la France talonne le Brésil au classement des plus gros exportateurs de talents, que Rayan Cherki débarque à Manchester City et que Désiré Doué impressionne la planète football, il est intéressant de revenir sur les raisons de ce succès de la formation "Made in France". Une réussite d'autant plus importante qu'elle semble menacée par la concurrence internationale, l'évolution des mentalités des joueurs ou encore la stratégie de certains clubs… Pour aborder en longueur ce thème complexe et passionnant, nous avons réuni deux spécialistes. D'un côté, Jean-François Vulliez, entraîneur adjoint à l'AC Horsens (D2 Danemark) et directeur du centre de formation de l'Olympique lyonnais de 2011 à 2023. De l'autre, Bertrand Reuzeau et ses presque trois décennies d'expérience à ce même poste entre Sochaux (1997-2000), l'AS Saint-Étienne (2000-2003), CS Sedan (2003-2005), le Paris Saint-Germain (2005-2016 puis 2018-2019), l'AS Monaco (2016-2018 puis 2019-2022) et le Montpellier HSC depuis trois ans. Également président de l'UNECATEF, ce dernier est particulièrement au fait des problématiques rencontrées par les formateurs hexagonaux. Entretien.

Jean-François Vulliez, entraîneur adjoint à l'AC Horsens (D2 Danemark) a été le directeur du centre de formation de l'Olympique lyonnais de 2011 à 2023 / ©OL

Quand vous regardez les quinze dernières années, quel est, selon vous, le changement le plus marquant dans l’approche française de la formation ?

Jean-François Vulliez : Quand je suis arrivé à Lyon, en 2011, nous avions un préparateur physique pour trois ou quatre équipes. Aujourd’hui, les clubs disposent de spécialistes data, de responsables performance, d'analystes vidéo, de préparateurs mentaux…

Bertrand Reuzeau : Effectivement, la professionnalisation et l'élargissement des staffs, ainsi que l'évolution de la méthodologie liée à l’explosion des outils technologiques sont à ranger parmi les grandes évolutions de ces quinze dernières années.

 

Quelles conséquences cela a-t-il eu sur l’approche de l'entraînement ?

BR : Lorsque Carlo Ancelotti a rejoint le PSG et généralisé l'usage des GPS à l'ensemble du club, la précision des données a fait évoluer notre méthodologie. Notre approche est devenue plus individualisée, plus fine. Cela a infusé dans l'ensemble des académies françaises, qui se sont adaptées en fonction de leurs moyens et de leur identité avec le même objectif : sortir des joueurs performants. Et c’est justement à mes yeux cette diversité dans l’action de formation qui constitue le vrai « Made in France ». 

J-FV : Exactement. Il n’y a pas de recette unique et l'évolution des méthodes vient aussi des échanges et des partages entre centres. A Lyon il y avait une histoire, un ADN et une méthode forte en place qu'il a fallu conserver, tout en l'enrichissant de nouvelles technologies et pratiques. Avec un impératif : rester en phase avec le contexte local. 

 

"Varier les exercices et en trouver de nouveaux pour s'adapter à la baisse de la concentration"

 

Comment l’irruption des technologies que vous évoquez a changé votre pratique au quotidien ? 

J-FV : En tant que directeur de l'académie, j'avais la responsabilité de fournir à mes joueurs l'ensemble des outils nécessaires à leur formation. On a donc fait venir et formé des experts pour remplir notre caisse à outils et progresser. Cela demande une grosse organisation car entre la vidéo, la pré-activation, la data, la musculation, la récupération… Il a fallu repenser l'aménagement de la semaine d’entraînement. 

BR : Attention cependant car l’accumulation de spécialistes peut devenir un frein et réclame une vraie capacité managériale. Ce n'est pas facile d'impulser une ligne directrice claire pour tout le monde… Je me suis rendu compte que dans certains clubs, trop de compétences dispersées peut nuire à la cohérence du projet.

 

Les jeunes générations ont changé. Comment avez-vous adapté votre pédagogie à ces nouveaux profils ?

BR : Avant, on courait autour du stade sans poser de question. Aujourd’hui, les jeunes veulent comprendre pourquoi. Ils ont besoin de sens et en cela, les outils modernes comme les GPS nous aident à les rendre acteurs de leur progression. Nous avons aussi dû varier les exercices et en trouver de nouveaux qui permettent de s'adapter à la baisse de la concentration.

J-FV : Dans le processus de formation classique, on commence un gros travail individuel à partir des U19, car la partie cognitive est acquise et que nous nous attachons à des détails pour préparer le joueur au haut niveau. Aujourd'hui, ce travail se fait de plus en plus tôt compte tenu de l'impatience des jeunes à "signer pro". 

Président de l'UNECATEF et directeur du centre de formation du Montpellier HSC, Bertrand Reuzeau est notamment passé par le Paris Saint-Germain (2005-2016 puis 2018-2019) et l'AS Monaco (2016-2018 puis 2019-2022) / ©MHSC

Comment les centres de formation français peuvent-ils rester compétitifs face à la montée des académies privées et aux nouvelles logiques de mobilité des jeunes ?

BR : Il faut continuer de faire confiance à l'expertise des formateurs français ! Je constate un paradoxe chez nous : la formation est toujours aussi performante, mais des directions ou des staffs de clubs deviennent entièrement étrangers... Cette perte d'ancrage local m'inquiète comme formateur mais aussi en tant que président de l'Unecatef, car former un joueur, c’est aussi comprendre un environnement propre à chaque pays. 

J-FV : À l'OL, 90 % des joueurs qui sont allés au bout avaient mis en place un projet avec la famille et le centre et toutes les parties se sont montrées patientes : Bradley Barcola ou Castello Lukeba n'ont jamais été surclassés ! La stabilité dans un environnement garantit d'aller au bout du projet de formation. Si on prend l'exemple d'un Willem Geubbels, parti à 17 ans à l'AS Monaco, il lui manquait deux ans pour finir son processus. Résultat, il a fait une carrière un peu moins bonne que ce que son talent aurait pu lui permettre. 

 

"Lors de la construction du grand stade, Jean-Michel Aulas a diminué l'ensemble des dépenses, sauf celui de la formation…"

 

Les joueurs formés en France sont parmi les plus exportés au monde. Cela ne risque-t-il pas d'orienter la formation vers un modèle de valorisation économique plutôt que sportif ?

BR : Cela a toujours été le cas ! Le but d'un centre est de former des professionnels pour les faire jouer, les valoriser et constituer des actifs. Les plus grosses plus-values se font sur des joueurs issus de la formation. 

J-FV : C’est pour ça que voir certains clubs mettre moins de moyens dans la formation alors qu’on connait actuellement une crise des droits TV est une erreur stratégique. Regardez Lyon, Rennes, Monaco… Les transferts des jeunes formés depuis des années représentent une mine d'or ! Je me souviens que, lors de la construction du Groupama Stadium, Jean-Michel Aulas a diminué l'ensemble des dépenses, sauf celles d’un pôle : la formation… Résultat, celle-ci a rapporté près de 300 millions d'euros en cinq ans. Les clubs qui continueront à investir chez les jeunes, en dépit des difficultés économiques, tireront leur épingle du jeu.

 

De quoi ou de qui pourrions-nous nous inspirer hors de nos frontières ? 

BR : De l’Espagne pour sa maîtrise collective, de l’Italie pour sa rigueur tactique ou encore de l'Angleterre pour son travail de l'individualisation. Mais notre force demeure notre capacité à mixer intelligemment tout cela en restant fidèles à l'identité et aux caractéristiques de nos joueurs. C'est pour cela que la formation française est l’une des plus complètes au monde.

J-FV : Dans les tournois internationaux, j'ai toujours trouvé intéressant le fait que la plupart des clubs étrangers ne surclassent pas avant les U18, ce qui permet de faire s'affronter les meilleurs de chaque génération et de laisser maturer les joueurs. En France, on a un appel précoce au haut niveau, mais il faut faire attention. 

 

Si vous deviez créer ou refondre un centre de formation aujourd’hui, quelles seraient, selon vous, les trois priorités à inscrire dans sa conception ?

BR : D’abord, un recrutement aligné avec le projet. Ensuite, une méthodologie claire et cohérente. Et enfin, un encadrement solide qui partage cette vision. 

J-FV : 1. Le recrutement ; 2. un encadrement de qualité ; 3. de la stabilité dans les centres comme dans le monde professionnel. Comme le disait Bertrand dans un entretien pour VESTIAIRES, un projet de formation, c’est sur 4 ou 5 ans.

 

Pour aller plus loin : écoutez le podcast "Vest'Air" avec trois "Dénicheurs de talents" historiques (ICI) 

En savoir plus
Centre de formation
UNECATEF
Bertrand Reuzeau
Formation
Olympique Lyonnais
Montpellier
Jean-François Vulliez
Jean-François Vulliez