Ils ont recruté Pogba, Martial ou Mahrez… Trois des plus grands scouts français partagent leur vision, leur méthode et leurs secrets dans un livre événement. Extraits.
De 2000 à 2018, Gérard Bonneau a repéré Nabil Fékir, Alassane Pléa, Anthony Martial, Yacine Benzia ou encore Houssem Aouar pour l'Olympique Lyonnais. Pendant deux décennies, Vincent Cabin a, lui, fait les beaux jours de l'AJ Auxerre en recrutant des joueurs comme Yaya Sanogo, Paul-Georges Ntep, Younès Kaboul, Evan Ndicka ou Sébastien Haller, treizième au Ballon d’Or 2022. Pour compléter ce casting de choix, Franck Sale, directeur du recrutement à la préformation et formation du Havre AC (avec un intermède de quelques années à l’OGC Nice) pendant près de vingt ans affiche un tableau de chasse impressionnant : Brice Samba, Riyad Mahrez, Benjamin Mendy et Paul Pogba font partie des joueurs prestigieux qu’il a su attirer en Normandie. Pendant 48 heures, Julien Gourbeyre, le directeur de la rédaction de VESTIAIRES Coaching, a réuni dans une même pièce ces dénicheurs de talents pour tout comprendre de leurs fonctionnements et de leurs secrets. Découvrez en exclusivité, un extrait de cet échange exceptionnel.
Existe-t-il pour vous un défaut rédhibitoire lorsque vous observez un jeune joueur pour la première fois ?
Vincent Cabin : Le joueur qui ne court pas. Celui-là n’a aucune chance de percer. Quand vous voyez ce que réclame le haut niveau en termes d’efforts, de courses à haute intensité et que vous tombez sur un match où un jeune, pourtant intéressant, ne fait pas preuve d’un minimum de générosité dans les courses, vous passez à autre chose. A la limite, vous aurez meilleur compte à miser sur un joueur moins doué mais qui court plus que les autres. Celui-là, vous savez que s’il travaille bien - et le fait de courir sur le terrain est déjà un bon indicateur en matière d’état d’esprit et de goût de l’effort - il pourra rattraper son retard et faire peut-être une carrière. Il y a aussi autre chose, c’est le joueur qui court sur les talons, qui a les pieds plats. Daniel Rolland m’a toujours dit qu’un tel profil avait beaucoup moins de chances de percer. Bien sûr, on va me dire qu’il y a des exceptions comme Robert Pires, par exemple. Mais ce dernier a réussi parce qu’il était dans sa région. Il n’a rien coûté au club et au bout du compte ce fut une bonne surprise. Pas sûr en revanche qu’un recruteur serait allé le chercher à plusieurs centaines de kilomètres... Parce que former un joueur, ça coûte cher : il faut l’habiller, lui donner à manger, le faire dormir, payer l’électricité, etc. Alors Pires a réussi, très bien, mais j’ai pu constater que ce que m’avait répété Daniel se vérifiait dans l’immense majorité des cas.
Gérard Bonneau : Ne pas courir est rédhibitoire, c’est clair, et cela est encore plus vrai dans le football d’aujourd’hui. Je dois dire que certains jeunes que j’ai recrutés, il y a quinze ou vingt ans, qui affichaient de grosses qualités mais un faible volume de jeu, je ne les prendrais sans doute plus aujourd’hui. Ou en tout cas la question se poserait. Le meilleur exemple, c'est Anthony Martial. La première fois que je le vois, il a 14 ans et joue aux Ulis. Tout le monde le connait mais personne ne le prend parce qu’il ne court pas sur le terrain, ne fait pas les efforts. C’est un dormeur ! Mais moi, je le prends. Pourquoi ? Parce que dès que le ballon lui parvenait dans de bonnes conditions, il démarrait d’un coup et là c’était un dragster... Il avait réellement deux visages et c’était assez déroutant je dois dire. Mais je l’ai tout de même recruté car il avait pour moi des qualités naturelles extraordinaires. Seulement voilà, fait-il aujourd’hui la carrière qu’il aurait dû ou pu faire ? Quel fut son temps de jeu à Manchester United pendant près de dix ans ? Cela interpelle, forcément.
Franck Sale : J’ajouterais que dans le fait de ne pas courir apparait en toile de fond cette notion d’envie, de motivation, de goût de l’effort, du travail... Les formateurs insistent beaucoup là-dessus et à juste titre. C’est quand-même un point central chez l’athlète de haut niveau. On parlait tout à l’heure de la nécessité de détecter des potentiels à 12, 13, 14 ans. Mais encore faut-il que le joueur soit en capacité de l’exploiter ! S’il ne veut pas travailler, pas faire d’effort, il n’atteindra jamais le potentiel pour lequel on l’a recruté et ce sera donc un échec pour lui comme pour nous.

On entend parfois que sur un match de jeunes, celui qui touche le plus souvent le ballon est généralement le joueur le plus intéressant. Vous confirmez ?
Gérard Bonneau : Je pense que cela dépend du poste. Dans une équipe dominante, un milieu de terrain offensif va forcément toucher davantage le ballon que son partenaire défenseur central. Mais c’est ce qui explique aussi pourquoi on a tendance à beaucoup recruter des milieux de terrain. Inconsciemment, notre œil est attiré effectivement par celui qui touche beaucoup le ballon, alors que ce n’est pas un indicateur en soi je pense.
"On se rend compte qu’il n’y a pas de vérité mais tout un tas de paramètres à prendre en ligne de compte. Et qu’un seul paramètre n’est pas suffisant pour être représentatif"
Franck Sale : En effet, cela ne peut pas être un indicateur fiable. Bien-sûr qu’un joueur qui touche beaucoup de ballons est foncièrement plus intéressant qu’un autre qui se planque. Mais à un moment donné il faut voir aussi ce qui se passe lorsqu’il a le ballon dans les pieds. Si je touche 100 ballons mais que j’en perds 98... Et puis il convient aussi d’évaluer l’adversaire. Car toucher beaucoup de ballons face à une équipe très faible ou très forte, ce n’est déjà plus le même signal qui vous est envoyé. En fait, on se rend compte qu’il n’y a pas de vérité mais tout un tas de paramètres à prendre en ligne de compte. Et qu’un seul paramètre n’est pas suffisant pour être représentatif. Être intelligent dans le jeu est une bonne chose, certes, mais ce n’est pas suffisant, comme le fait de courir vite, d’être doué techniquement ou de toucher beaucoup de ballons. Ce sont les critères mis bout à bout qui font qu’un joueur va être recruté ou non.
Vincent Cabin : Je dirais que le fait qu’un joueur soit très sollicité sur le terrain peut être révélateur de sa capacité à bien se déplacer, à lire le jeu, à faire preuve d’initiatives, a avoir une bonne confiance en soi... C’est déjà pas mal me direz-vous, mais ce n’est pas suffisant. Il faut aussi et surtout maîtriser la boule de cuir et savoir le faire à bon escient. Car le premier adversaire du joueur, c’est le ballon !
"Tout n’est pas blanc ou noir, il y a aussi des choses qu’on n’explique pas. Et c’est peut-être ce qui fait la différence entre un bon recruteur et un très bon recruteur"
Quel part accorder au ressenti dans le métier de recruteur ?
Franck Sale : Elle existe, oui, comme dans plein d’autres professions. Tout n’est pas blanc ou noir, il y a aussi des choses qu’on n’explique pas. Et c’est peut-être ce qui fait la différence entre un bon recruteur et un très bon recruteur. On a vu tellement de matches, tellement de joueurs, que parfois un jeune va susciter notre intérêt sans que l’on sache vraiment pourquoi au départ. Cela se passe de manière inconsciente. Nous avons en tête un tel référentiel de jeunes talents ayant réussi ou échoué que notre œil, même s’il n’est pas infaillible, loin de là, a appris avec les années à faire le tri presque spontanément. Et je le dis avec beaucoup d’humilité. C’est ce qui explique aussi que les parents parfois ne comprennent pas pourquoi on a pris tel joueur de l’équipe de leur enfant et pas le leur. Mais tout simplement parce qu’ils n’ont pas notre ressenti, notre expérience, ne connaissent pas non plus la nature de nos critères qui sont forcément différents des leurs. Surtout que l’aspect affectif les pousse la plupart du temps à altérer leur jugement en voyant leur gamin meilleur qu’il n’est réellement, ce qui est tout à fait légitime.
Vincent Cabin : Je suis complètement d’accord. Il y a des choses qu’on ne peut pas expliquer et qui relèvent aussi de l’expérience que l’on a, de notre parcours aussi. Il y a d’abord un chemin à faire avant de parvenir à ce degré de ressenti dans notre métier. Par exemple, en ce qui me concerne, je suis convaincu que mes années d’entraîneur amateur chez les jeunes m’ont beaucoup aidé. Ayant coaché pendant dix ans en Cadet nationaux à l’époque, j’ai vu des joueurs réussir, d’autres être en difficulté, et je me suis construits comme ça. Ce fut comme un laboratoire au sein duquel j’ai emmagasiné sans le savoir une quantité d’informations. Celui qui n’a jamais joué ni entraîné ne peut pas avoir le même ressenti en tant que recruteur, c’est impossible.
Gérard Bonneau : Voir des matches de haut niveau est aussi très important pour aiguiser notre œil et construire ce fameux référentiel. Parce que le ressenti, il faut le nourrir aussi. Plus on a une idée claire des qualités que doit posséder un footballeur professionnel, plus on saura reconnaître un jeune potentiel qui s’en rapproche. La première question à se poser est donc : qu'est-ce qu'un défenseur, milieu ou attaquant dans l’élite ? Derrière, il convient de le traduire en tenant compte bien évidemment de l'âge du joueur. Toute la difficulté est là. Mais si on parvient, j’ai envie de dire qu’un garçon aura beau passer complètement à côté de son match le jour où on sera présent autour du terrain, il suffira parfois d’un simple déplacement pour qu’on se dire : "Tiens, il vient de faire quelque chose de spécial, qui me rappelle untel." Je vais vous donner un exemple. N'ayant pas joué en pro, j'ai beaucoup décortiqué à mes débuts ce qui se faisait au haut niveau afin de me forger des éléments de comparaison, ces fameux référentiels. C'est comme ça que j'ai découvert Yassine Benzia. Il avait 16 ans et jouait à Quevilly en U17 nationaux. A ma connaissance, il n'y avait aucun club sur lui. D'ailleurs ce jour-là, j'étais venu voir un autre joueur dans l’équipe adverse ! Mais au bout de quinze minutes, je ne voyais que Yassine. Il m’a littéralement tapé dans l'œil. Pourquoi ? Parce que dans le match, il avait effectué deux types de déplacement qui m'ont rappelé Diego Milito. Alors je l'ai pris ! Pareil pour Lamine Gassama, que personne ne voulait. Moi, je trouvais que sa vitesse pourrait lui permettre de s’imposer sur un côté, comme l’on fait pas mal de joueurs pros que j’avais alors en tête. J’ai donc choisi de le recruter et il a fait carrière, devenant même international sénégalais. Lui il sort de nulle part !
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