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Le podium du Ballon d'Or en 2010 : Lionel Messi, Andrés Iniesta et Xavi / © Presse Sports

Les petits sont les plus doués, leur terre promise est en Espagne et un joueur d’1,70m lit plus rapidement le jeu que son partenaire d’1,90m. Fable ou vérité étayée ?

Maradona 1,65, Messi 1,70, Pelé 1,73 mètre. Trois des meilleurs joueurs de football de tous les temps mesuraient moins d'1,75 mètre sous la toise. Un standard pris pour repère puisque représentant la taille moyenne des adultes masculins français. Conséquence de l’histoire, les joueurs de "petite taille" ont très souvent été vus comme des artistes, tandis que les plus grands passaient pour "des bourrins" Il va sans dire que le raccourci ne tient pas, ou tout du moins qu’il ne tient plus avec la confirmation de belles bêtes type Haaland ou Bellingham, respectivement 1,94 et 1,86 mètre, qui ont développé des aptitudes techniques et informationnelles que l’on pensait, hier encore, réservées aux petits.

 

Le révélateur "Ballon d’or"

 

Un fait qu’il convient de relever en l’enrichissant d’un constat étonnant. Sur les 30 nominés au Ballon d’or 2024, seuls 5 joueurs de moins d’1,75 mètre apparaissent sur la liste*. Pas vraiment de quoi décréter une supériorité technique en faveur des petits formats donc, mais l’occasion de relever une évolution marquée avec le podium du ballon d’or 2010 qui avait couronné 3 géants d’1 mètre 70 : Messi, Iniesta et Xavi. Alors que faut-il penser de cette tendance inflationniste vers des gabarits plus athlétiques et élancés ? Marque-t-elle un tournant dans l’histoire de ce sport ou est-elle simplement le fait du hasard qui a vu les grands prendre le pouvoir l’espace d’une saison ? Premier élément d’information avec Pascal Gastien, l'entraîneur professionnel, tout jeune retraité du Clermont Foot : "D’une manière générale, je constate que les clubs vont plus facilement vers des joueurs qui font plus d’1,90 m. Assez naturellement, il en résulte une augmentation de la taille moyenne des effectifs. Mais pour ce qui est de la référence aux nominés du Ballon d’or 2024, je pense qu’il s’agit plus d’une anomalie conjoncturelle plutôt que l’expression d’une tendance de fond".  Autre référence interrogée, Joan Vila, l’ancien directeur et responsable méthodologique de la Masia à l’époque ou Xavi, Messi, Iniesta et consorts fréquentaient les bancs du centre de formation du FC Barcelone : "Il n’y a pas besoin d’être petit pour bien jouer au football. La force athlétique et une belle taille peuvent aussi s’avérer des atouts incontestables mais j’ai pu constater au cours de ma carrière que les joueurs de moins d’1,75 m qui accédaient au plus haut niveau étaient souvent très talentueux car ils pensaient le jeu avec un temps d’avance." Autrement dit, l’histoire très classique des joueurs qui ont dû compenser leur déficit morphologique en élevant leur niveau d’intelligence situationnelle et informationnelle.

 

"Un directeur de centre en France m’a avoué qu’à la fin de leur formation, trois costauds de 1,85 m se vendaient beaucoup plus facilement que trois joueurs d’1,70 m"

 

Un argument évoqué au fil de ses souvenirs d’enfance par Gilles Thiéblemont, le directeur du Pôle Espoirs de la Ligue Grand Est : "Quand on se donnait rendez-vous avec un ballon sur la place du marché ou sur le parking, il y avait des gros, des fluets, des petits, des grands, des enfants et des ados, et ça n’empêchait personne de jouer les uns contre les autres. Les plus petits s’adaptaient et cela participait à former leur QI Foot." Toutefois, si tout le monde s’accorde sur les capacités des "petits", la mercantilisation des joueurs tresse une toile de fond inquiétante. Comme l’explique Patrick La Spina, expert dans l’accompagnement des joueurs : "Un directeur de centre en France m’a avoué qu’à la fin de leur formation, trois costauds de 1,85 m se vendaient beaucoup plus facilement que trois joueurs d’1,70 m. En interne, auprès du coach des pros comme avec de potentiels clubs acheteurs. En fait, je m’aperçois que ceux qui mettent le plus de citations de Johan Cruyff dans leurs vestiaires sont souvent ceux dont les actions et les choix méthodologiques vont précisément à l’inverse de ce que l’ancien mentor de l’Ajax Amsterdam et du FC Barcelone préconisait en accordant la priorité à l’intelligence de jeu plus qu’à l’impact athlétique."

 

Seulement quatre joueurs sur vingt-six de moins d’1,75 m dans l’effectif de la sélection espagnole championne d’Europe des Nations

 

Alors bien sûr, restent les footballeurs espagnols nourris au grain du jeu de position et à l’iconographie du joueur d’1,70 m dominant ! Hum, pas si sûr si l’on regarde la composition de l’effectif de Luis de la Fuente dans lequel ne figuraient que quatre éléments de moins d’1,75 mètre sur les 26 convoqués (Cucurella, Grimaldo, Carvajal, et Jesus Navas). L’opportunité de nuancer le message selon lequel les entraîneurs espagnols raffolent des petits gabarits. Constat identique du côté du FC Barcelone où la proportion des joueurs de poche apparaît moins prégnante, même si le club catalan demeure une oasis fiable pour ceux qui ne peuvent se prévaloir d’une grande taille (voir par ailleurs). Ballon d’Or, choix du cœur et ceux de la raison, évolution dans l’ère du temps et football espagnol, autant d’arguments que nos intervenants ont pris le temps de développer lors des témoignages ci-contre. En mettant en exergue une vérité incontestable d’Alain Fiard, ex joueur et entraîneur professionnel d’1,65 mètre : "Ce qu’il se passe avec les petits, c’est qu’on les remarque plus que les joueurs de taille moyenne…" Et si finalement, la grandeur de tel ou tel joueur était d’abord et avant tout dans l’œil de celui qui le regarde ?

 

*Phil Foden (Manchester City), 1,71 m ; Lautaro Martinez (Inter de Milan), 1,71 m ; Alejandro Grimaldo (Bayer Leverkusen), 1,71 m ; Vitinha (Paris St-Germain) 1,72 m ; Dani Carvajal (Real Madrid), 1,73 m.

Pascal Gastien, l'ancien coach du Clermont Foot 63 / © Presse Sports

Pascal Gastien : "La taille moyenne des effectifs pro va en s’accroissant"

Tout jeune retraité du Clermont Foot, Pascal Gastien n’avait pas hésité à titulariser un joueur d’un mètre 73 en défense centrale, Alidu Seidu. Une curiosité relative au poste occupé sur laquelle nous l’avons interrogée. Et l’occasion pour le coach de dresser un constat sur l’évolution du football dans l’hexagone :

 

Des postes interdits aux petits ?

La référence n’est pas le nombre de centimètres mais bien le rendement sur le terrain. Alidu avait été formé sur le poste de défenseur central dans l’académie Jean Marc Guillou. Il en avait les automatismes, les comportements et la bonne agressivité. Ensuite, il compensait sa taille par des appuis incroyables et une détente rare. Selon moi, il faut s’interdire d’interdire et, à l’exception du poste de gardien de but, je ne vois pas de postes qui soient interdits aux joueurs d’un mètre soixante-quinze et moins.

 

Des qualités spécifiques ?

Globalement, ce sont souvent de très bons techniciens et n’importe quel défenseur vous dira qu’il est très difficile de défendre sur eux en un contre un parce que leur centre de gravité les autorise à changer de direction sur un pas. Par ailleurs, dans le courant de leur formation, la plupart d’entre eux ont dû apprendre à compenser leur déficit morphologique par des prises d’informations permanentes. Ce qui en fait fréquemment d’excellents joueurs. 

 

Des évolutions à prévoir ?

En Ligue 1, il me semble que la taille moyenne des effectifs au plus haut-niveau va en augmentant. D’une manière générale, les équipes tendent de plus en plus vers des joueurs qui font plus d’un mètre quatre-vingt. Peut -être pour se rassurer… Maintenant la référence à la liste des 30 nominés au ballon d’or me semble plus conjoncturelle que l’expression d’un recul des joueurs de petite taille.

Sentence !

C’est l’histoire d’une sentence entendue dans la bouche d’un coach :

"Si j’ai le choix entre un joueur 1m90 qui a le même niveau technique que son partenaire d’1m70, je prends le plus grand…"

Bon sens ou pas ? Nous avons demandé à Patrick La Spina et Pascal Gastien, ce qu’il en pensait. Instructif : 

 

Patrick La Spina, spécialisé dans l’accompagnement et le développement individuel répond : "Je ne suis pas d’accord avec cette phrase. J’en comprend le sens et la logique mais elle élude un point essentiel : la difficulté à jouer contre des joueurs qui ont un centre de gravité plus bas par définition. Ce qui explique pourquoi sur le plan des appuis ils sont souvent difficiles à bouger ! Et puis défendre sur un petit qui voit vite et qui fait vite, pour un grand, c’est compliqué !"

 

"Défendre sur un petit qui voit et fait vite, pour un grand, c’est compliqué !"

 

Pascal Gastien qui a fréquenté le plus haut-niveau en tant que joueur puis au titre de coach durant des années avance pour sa part : "C’est une phrase un peu douloureuse mais le fait est qu’elle est vraie. Je ne connais pas un entraineur qui, à niveau technique et d’intelligence égale, recruterait le joueur le plus petit. La justice est qu’un individu qui a développé sa technique et son aptitude à lire le jeu parce qu’il n‘avait finalement pas d’autre choix a quand même plus de chances d’être un footballeur talentueux."

Du haut de son mètre 74, Pedri est le symbole de la nouvelle génération espagnole ces dernières années / © Presse Sports

Espagne, terre promise ?

Parmi les nations dominantes du football, l’Espagne est le pays où les joueurs de petite taille sont les moins souvent discriminés. Du moins si l’on se réfère à la croyance populaire. Mais qu’en est-il vraiment ? Quelques pistes de réflexion et d’argumentation ci-après : 

 

Les grands coachs espagnols misent sur les petits

 

Xabi Alonso et Pep Guardiola, les entraîneurs espagnols à la tête des équipes championnes en Premier League et en Bundesliga misent gros sur les petits. Un constat étayé par la confiance accordée aux joueurs de moins d’un mètre soixante-quinze dans la rotation de leurs effectifs. Les joueurs présentés ci-après faisant partie des 5 joueurs les plus utilisés par les techniciens ibériques lors de la saison 2023/2024.

 

Pep Guardiola (Manchester City) : Silva (1,73 m) ; Phil Foden (1,71 m) ; Julian Alvarez (1,70 m) 

Xabi Alonso ( Bayer Leverkusen) : Jérémie Fripong (1,72 m) ; Alejandro Grimaldo ( 1,71 m)

 

Luis Enrique, champion avec le PSG, a eu à effectuer des choix limités puisque son effectif ne comptait que deux joueurs en dessous du mètre soixante-quinze : Vitinha, le deuxième joueur le plus utilisé avec 28 titularisations et Lee Kang-In (1,73 m) qui apparaît seulement à la quinzième place de ce classement. D’où une question légitime : La Ligue 1 serait-elle frileuse avec les petits ?

Joan Vila, l'ex directeur et responsable méthodologique du centre de formation du FC Barcelone.

"Les espagnols ont compris avant tout le monde que le football était par essence un sport cognitif."

Pourquoi est-ce que les espagnols ont cette appétence pour les joueurs dits petits ? Éléments de réponse ci-joint avec Patrick La Spina : 

 

"Les espagnols ont compris avant tout le monde que le football était par essence un sport cognitif. Et non pas athlétique. Et ils ont orienté toute leur formation pour répondre à cette idée simple. Dès lors que la priorité consiste à interpréter les situations et à prendre les décisions utiles au jeu au bon moment, les joueurs plus petits ont toutes leurs chances. En cela je crois qu’il y a quand même une approche très différente avec la France par exemple où un directeur de centre en France m’a avoué qu’à la fin de leur formation, 3 "costauds" de 1m85 se vendaient beaucoup plus facilement que trois joueurs d’un mètre 70. En interne, auprès du coach des pros comme avec de clubs potentiellement acheteurs. Je ne pense pas qu’une phrase de ce genre aurait pu être prononcée en Espagne…"

« Oui, bien sûr, il n’y a qu’à regarder l’importance hier d’un Busquets (1m 89) à Barcelone ou celle de Rodri (1m 90) à Manchester City aujourd’hui pour en être convaincu. Par ailleurs, il est vrai que les petits joueurs qui accèdent au plus haut niveau sont souvent très talentueux et précieux dans la circulation du ballon. Tout simplement parce qu’ils se débrouillent pour se déplacer et recevoir le cuir dans des zones où l’adversaire n’est pas et où il n’y a donc pas de duels susceptibles d’entraver une conservation fluide. Et ça, c’est la manifestation d’individus qui pensent le jeu avec un temps d’avance. Dans les faits, il s’agit fréquemment de joueurs malins et intelligents dans la lecture des situations. Mais je veux bien préciser qu’il n’y a pas besoin d’être petit pour bien jouer au football. Une belle taille peut aussi s’avérer un atout incontestable. »

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