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Après ses expériences à Thonon-Evian, Toulouse et Caen, Pascal Dupraz a entraîné l'AS Saint-Etienne de décembre 2011 à juin 2022 / ©Presse Sports

Faire entrer un attaquant pour revenir au score et un profil défensif pour le tenir. Une évidence ? Pas toujours. Pascal Dupraz avance d’autres éléments à prendre en compte.

Faut-il forcément faire entrer un joueur défensif pour tenir le score en fin de match ou existe-t-il d’autres alternatives selon vous ? 

Il n’y a pas que le score qui conditionne les changements. En effet, la tactique ne se limite pas à placer beaucoup de joueurs devant son but pour défendre ou à cumuler les attaquants pour marquer. Parmi les paramètres à prendre en compte, il y a d’abord et avant tout le respect de notre plan de jeu mais également la prise en compte de celui des adversaires. Il faut aussi citer les changements opérés par le banc adverse qui peuvent nécessiter une réponse adaptée en un minimum de temps. En fait, il y a de multiples raisons d’opérer un changement et cela ne se limite pas au profil du joueur appelé à rentrer en fonction du score.

 

C’est pourtant la considération qui semble la plus fréquemment privilégiée...

Par les observateurs, oui. Mais elle ne correspond pas forcément à l’idée première de l'entraîneur qui peut tout aussi bien décider, pour tenir un score, de faire entrer un attaquant afin de faire peser une nouvelle menace et ainsi inverser la pression. Dans ces dernières minutes au cours desquelles la fatigue se fait ressentir, il est souvent intéressant de pouvoir compter sur un point de fixation, devant, nous permettant de conserver le ballon loin de notre cage et ainsi de reprendre le fil du match.
 

"Faire peser une nouvelle menace et ainsi inverser la pression"

 

N'y a-t-il pas aussi une part de lutte psychologique avec le coach adverse ? 

Si, tout à fait. Parfois, alors que nous pourrions être tentés de préserver le résultat, les décisions prises par le banc opposé nous incitent à intégrer des joueurs offensifs pour chercher à confirmer voire amplifier le score... Il m’est ainsi arrivé de faire rentrer un attaquant axial alors que nous menions d’un but dans la dernière demi-heure avec la consigne de se placer très haut entre les deux défenseurs centraux et de ne surtout pas redescendre vers notre cage. Dans le cas présent, cette simple option apparemment contre-intuitive avait suffi à desserrer l’étreinte de nos adversaires.

 

Avec le risque que votre décision soit mal comprise et interprétée au cas où votre adversaire revienne au score...

L’incompréhension fait partie du métier (rires). Les entraîneurs professionnels considèrent des paramètres que l’œil du spectateur ne peut voir et encore moins comprendre. Je veux parler du joueur que l’on connaît parfaitement et dont on sait qu’il est en train de baisser de pied, celui qui revient de blessure et qu’il nous faut préserver indépendamment du score, sans compter des joueurs sous le coup d'un deuxième carton jaune... Autant d'indicateurs invisibles ou peu considérés par la plupart des observateurs mais qui s’avèrent avoir un impact fondamental sur la nature et la philosophie des changements.

 

Quels conseils donneriez-vous à un jeune entraîneur s'agissant de la gestion en match des remplacements ? 

Ce qu’il faut comprendre est qu’il n’existe pas de vérité incontournable que l’on puisse résumer en une simple formule. Deux entraîneurs poursuivant le même objectif et placés dans des conditions analogues peuvent procéder à des changements différents sans que l’on puisse savoir l’impact que ces changeront auront sur le déroulement et l’évolution de la rencontre. À titre d’exemple, lorsque je leur posais la question, certains de mes adjoints m’avouaient après coup qu’ils n’auraient pas effectué le même changement que moi à un moment clé du match. Parfois, les faits me donnaient raison et d'autres fois je convenais que leur choix aurait été meilleur que le mien à cet instant précis de la rencontre. Quoi qu’il en soit, il est bien évident que les raccourcis du type "on mène, on fait entrer un profil défensif" ou son pendant "on doit revenir au score, on fait appel à nos attaquants" sont trop limitatifs pour conditionner à eux seuls les remplacements à effectuer.

Ancien entraîneur du Mans, de Metz ou de Montpellier, Frédéric Hantz a dirigé le SC Bastia de 2010 à 2014 (ici avec Djibril Cissé) / ©Presse Sports

Frédéric Hantz : "Lorsque le match est très serré, je suis partisan de ne pas faire de changement du tout !"

L’ex entraineur professionnel du Mans, Lille, Metz ou Bastia évoque les scénarios légitimant un remplacement. Et celui où il est urgent de ne rien changer. "Lorsqu'on doit tenir le score en fin de match, il m’arrive assez souvent de faire rentrer un joueur offensif plutôt que défensif. Soit parce que le déroulement de la rencontre me laisse penser qu’il y a une possibilité de creuser l'écart, soit parce que je ressens la nécessité de sortir les joueurs d’une logique de peur et de repli face à la domination adverse (...) Lorsque c'est nous qui sommes menés au tableau d'affichage, la solution consiste naturellement à privilégier des options offensives en apportant plus de dynamisme et de fraîcheur dans les zones de finition voire à la construction afin d'amener plus de munitions aux avant-postes. Faire entrer un pur attaquant dans ce cas de figure n'est donc pas systématique (...) Parfois cela s’apparente un peu au jeu du chat et de la souris avec le coach d’en face et d'autres fois, on se limite surtout à ne pas opérer des choix pouvant nuire au rendement de l’équipe à l'instant T (...) Ainsi, lorsque la partie est très équilibrée et le score de parité, je suis partisan de ne pas faire de changement du tout. Encore plus lorsque l’équipe mène d’un but. L’expérience montre en effet que le changement effectué dans ces moments-là se retourne souvent contre nous... Il est très difficile pour un joueur d’entrer dans ce type de contexte et le risque est réel. D’abord est-ce qu'il va comprendre ce qu’on attend de lui ? Ressent-il de la déception, de la joie ? Pensait-il rentrer plus tôt ? Est-ce la crainte, la peur ou le désappointement qui domine ? Bien plus que les modifications tactiques, c’est l’état d’esprit dans lequel le joueur va rentrer qui importe !".

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