Observer
Entraîneur adjoint de Mikel Arteta à Arsenal, Nicolas Jover est devenu la référence internationale des coups de pieds arrêtés / ©Icon Sport

Adjoint de Mikel Arteta depuis 2021, le Français préside aux coups de pieds arrêtés de la meilleure équipe d’Europe dans l’exercice. Retour sur le parcours d’un vrai self made man.

Savez-vous qu’en 2021, un Français a été sacré champion, a soulevé la Coupe de la Ligue et disputé une finale de la C1 avec Manchester City ? Dans le 11 de Guardiola ? Pas tout à fait… S’il est devenu une star pour les réalisateurs de Premier League depuis, Nicolas Jover n’était à l’époque qu’un membre anonyme du staff pléthorique de City. Désormais, il est celui que les caméras filment lorsqu’il se lève du banc d’Arsenal à chaque corner ou coup franc, gesticulant aux côtés de Mikel Arteta. Celui pour qui une fresque vient même d’être réalisée par des admirateurs autour de l’Emirates Stadium. Une consécration difficile à imaginer lorsqu’il était recalé aux tests de sélection du BE. Alors comment cet Héraultais d’origine de 43 ans a-t-il gravi les échelons jusqu’à devenir une référence internationale dans le domaine des CPA et des touches ? Pour raconter cette histoire, il nous faut commencer par un mea culpa. En février 2009, nous n’avions pas donné suite à une proposition d’article de ce jeune éducateur de 26 ans, titulaire de l’Animateur Senior et en charge des U18 départementaux du FC Sète... Disons que le thème nous semblait à l’époque un peu hors sol : "l’analyse vidéo en club amateur." Il était en réalité totalement novateur et audacieux. Deux qualités qui caractérisent Nicolas Jover et vont l’emmener bien plus loin en définitive que la signature d’un article ou d’un portrait dans nos colonnes.

 

Recalé aux tests de sélection du BE, il part au Québec pour pouvoir vivre de sa passion

Et pour cause, six mois après qu’il nous a sollicités, cet ancien joueur amateur au RCO Agde (DH) signe à Montpellier (L1), dans le staff de René Girard. Plus que la promotion, c’est le récit de sa formidable soif de réussir qui nous revient en écho. Jugez plutôt. Obligé par le passé de cumuler les petits boulots pour s’offrir un exil au Québec en vue d’obtenir ses diplômes et de pouvoir vivre enfin de sa passion, le garçon y connaît une expérience plus que salutaire. "Grâce à la renommée de notre formation, être Français m’a conféré là-bas un à-priori positif." A seulement 23 ans, il est nommé directeur technique du Dynamic de Sherbrooke ! Son destin bascule. "Je voyais la vidéo et les stats être utilisées dans les sports universitaires, y compris à l'entraînement. Ce serait bientôt le cas chez nous, j’en étais convaincu. Alors j’ai bossé le sujet à fond." Son objectif est ambitieux : revenir en France par la grande porte, dans un club pro. Hélas, la fonction d’analyste n’y est pas encore répandue et tous ses CV restent lettres mortes, excepté à l’ASSE où Damien Comolli (aujourd’hui président du TFC) est piqué, mais ne peut rien lui proposer. Alors notre homme se contente de rentrer au pays par la fenêtre, se faisant la main au FC Sète et recherchant la lumière dans la presse spécialisée… Jusqu’à taper dans l’œil de Pascal Baills, adjoint au MHSC. Nicolas Jover tient enfin son premier poste. Le début d’une incroyable ascension.

 

"La vie à Londres est chère et mon salaire à Brentford ne me permet pas au début de m’en sortir. Avec ma femme et mes deux filles, nous vivons dans un taudis"

Pendant sept ans - dont une pige au Mondial 2014 avec Niko Kovacs (Croatie) grâce à l’entremise des responsables du logiciel Sportscode désireux de développer la solution en Europe de l’Est - le technicien affûte sa lame. "J’avais commencé à étudier les CPA et j’ai senti que les résultats de mes premiers travaux suscitaient l’intérêt…" C’est ainsi que sa vie bascule à nouveau, cette fois-ci à l’occasion d’une conférence privée à laquelle il est conviée. Les dirigeants de Brendford (D2 anglaise), qui cherchent justement à développer ce qu’on nomme encore les "gains marginaux", se laissent convaincre par ce jeune frenchie culotté et avant-gardiste. "C’est la chance de ma vie. L’opportunité de sortir de mon bureau d’analyste pour retrouver les terrains et mettre en pratique plusieurs années de recherche." Sous la houlette de Dean Smith (actuel coach du Charlotte FC), Nicolas Jover s’éclate. Mais la vie à Londres est trop difficile. "J’y suis allé avec ma femme et mes deux filles de 2 et 4 ans, passant d’un CDI confortable à Montpellier à une période d’essai de 6 mois à Brendford avec une semaine de préavis… Le risque était énorme ! D’autant que la vie à Londres est chère et que mon salaire à Brentford ne me permet pas de m’en sortir. Nous vivions dans un taudis". A deux doigts de jeter l’éponge, le Français voit finalement son bail renouvelé et à de meilleures conditions. Son expérience dure au final trois ans et s’avère positive.

 

"Ma première réunion avec le staff de Guardiola ? Ils m’ont mis sur le grill…"

Mais lui veut aller voir plus haut. Il entre alors en contact avec Mikel Arteta, adjoint à City, ayant eu vent de sa recherche d’un spécialiste des CPA. La rencontre dure 4 heures. C’est un coup de foudre professionnel. Invité dans la foulée à rencontrer le directeur technique, Txiki Begiristain, voilà Nicolas Jover propulsé dans une réunion face à l’ensemble du staff auquel se joint Pep Guardiola. "J’y suis allé sans complexe. Bon, les gars m’ont mis sur le grill... (rires). Mais je ne me suis pas laissé démonter." Crash-test concluant ! Nous sommes en juin 2019 et le Français vient de changer de dimension. " Il a fallu que je m’adapte car l’équipe jouait tous les trois jours, je suis passé d’un extrême à l’autre ! Ce n’est pas facile d’avoir 4 séances de CPA par semaine, ni d’en avoir 1 seule par mois…" Moins présent sur le terrain, la perte d’influence de Nicolas Jover s’accroît ensuite avec le départ d’Arteta pour Arsenal. Les statistiques ont beau parler d’elles-mêmes, la fin de l’aventure lui semble inéluctable. Mais pas d’inquiétude, cette fois ! Avoir passé deux saisons dans le staff de l’ancien coach du Barça est le meilleur des pedigrees. "J’avais beaucoup de propositions dont une en France (à Monaco, alors entraîné par Kovacs, ndlr) mais lorsque Mikel m’a demandé de le rejoindre à Arsenal où la place se libérait, je n’ai pas hésité une seconde."

 

Des championnats de jeunes départementaux de l’Hérault à la Premier League en dix ans

Avec le Basque, le frenchie retrouve plus d’envergure et de rayonnement. "Dans ma fonction, pour pouvoir m’exprimer, il faut que je sois avec un coach qui me fait confiance. C’est le cas de Mikel." Un entraîneur dont il se montre admiratif : "Sur un premier poste de numéro un, ce qu’il est en train de faire ici avec un effectif aussi jeune, en redonnant une vision, des valeurs et de l’espoir à tout un club, ce n’est pas donné à tout le monde." Comme le fait de passer des championnats de jeunes départementaux de l’Hérault à la Premier League en dix ans.

Premier adjoint de Bastia-Borgo (National 1) en 2021-2022, Enzo Donis s'est depuis spécialisé dans les CPA / ©DR

Enzo Donis : "Plus que révolutionné, Nicolas a créé ce poste"

L'ancien entraîneur adjoint de l’AS Vita Club (République Démocratique du Congo) et spécialiste des coups de pieds arrêtés a côtoyé Nicolas Jover lors d’un stage d’analyste vidéo à Montpellier en 2015. "A l’époque, il avait créé un modèle qui permettait de regrouper différentes données collectives mais aussi très individualisées sur les joueurs et notamment les CPA". Déjà… Entretien.

 

Comment devient-on spécialiste des coups de pieds arrêtés ?

Après des expériences comme premier adjoint à Bastia-Borgo, puis à Sète (National 1), j’ai fait le constat que mes équipes avaient très peu de réussite sur CPA. Je suis donc parti d’une feuille blanche et ai mis en place pendant plusieurs mois une méthodologie pour progresser dans ce domaine. Je l’ai ensuite mise en place à l’AS Vita Club, comme adjoint d’Abdeslam Ouaddou, et on est passés de 0 à 31 % du buts sur CPA et avons remporté la Coupe du Congo.

Pouvez-vous donner quelques éléments de cette méthode ?

Elle se base sur trois pôles complémentaires : l’analyse (des forces et faiblesses de nos joueurs), la stratégie de match (le projet de jeu de l’entraîneur et de l’adversaire) et l’entraînement, avec la volonté de recréer les conditions du match. Comment ? Par exemple, sur les phases dissociées de l’entraînement, je vais mettre en place des contraintes et des réflexions pour que le cerveau du joueur pense qu’on est en match. On travaille sur des aspects cognitifs pour créer des routines mentales et physiques. 

Nicolas Jover a-t-il révolutionné la place consacrée aux CPA dans les staffs ?

Plus que révolutionné, il a créé ce poste qui prend de plus en plus d’ampleur. En Angleterre une grande majorité des clubs ont désormais un spécialiste dédié, qu’il soit «"set-pieces coach" (entraîneur adjoint) ou "set-pieces analyst" (analyste qui fait le lien entre l’adjoint chargé des CPA et la partie technique). En France, certains clubs mettent en place des analystes à sensibilité CPA, mais à part Damien Della Santa entraîneur adjoint à l’OL, il y en a peu. Pourtant, ce dernier a obtenu des résultats probants avec Nice (meilleure défense d’Europe sur CPA en 2021/2022) et avec Lyon (deuxième équipe qui a marqué le plus de but sur corner cette saison en Europe après… Arsenal). Ce rôle va prendre de l’ampleur car au-delà de l’effet de mode, il apporte des résultats.

Comment expliquer la réussite d’Arsenal dans ce domaine ?

Cela part avant tout d’une philosophie et d’une ouverture d’esprit de la part de Mikel Arteta, son entraîneur principal. La confiance et la place qu’il accorde aux CPA est la base. Le reste ? C’est beaucoup de travail de création et d’optimisation de combinaisons en prenant en compte des critères tels que l’analyse de l’adversaire. En cela, Nicolas Jover et Arsenal excellent.

Depuis le 11 décembre 2024, une fresque de Nicolas Jover a fait son apparition sur les murs bordant le stade des Gunners / ©Icon Sport

64 buts et une fresque murale

Lors de la saison 2020/2021 qui précéda l’arrivée de Nicolas Jover en provenance de Manchester City, Arsenal n’avait marqué que… 5 buts sur coups de pieds arrêtés. Et depuis l’arrivée du Français dans le staff de Mikel Arteta ? 64 ! Soit près d’un quart des réalisations londoniennes en Premier League sur la période. Arsenal s’est imposé comme la meilleure équipe d’Angleterre sur les CPA offensifs et lors de la saison 2023/2024, les Gunners ont inscrit 32 buts (dont 16 sur corner), un record depuis vingt ans. Voilà qui mérite bien la fresque murale, dévoilé aux abords de l’Emirates Stadium le 11 décembre 2024 et qui représente Nicolas Jover, au centre de lignes de touches qui dessinent un corner. Rien de plus normal.

En savoir plus
Nicolas Jover
Arsenal
Coup de pied arrêté
Staff
Stratégie